A propos des technos 2.0, de la gouvernance de l'information, des réseaux sociaux et de la valorisation des contenus au service de l'entreprise de demain
Ce billet aurait pu s’intituler de l’obsolescence de Platon au grand retour de Socrate selon la présentation délivrée par Harold Jarche à l’occasion du colloque du REFAD 2013 :
Harold Jarche passe ainsi en revue certains évènements marquants, notamment dans la transmission (l’apprentissage qui lui est si cher) et l’utilisation des connaissances.
Il nous explique et met en perspective les réseaux de valeur et l’entreprise sociale, collaborative et mobile née, entre autres, d’une évolution dans la formation.
Cette formation qui doit faire la part belle à la transmission de la connaissance mais également, et peut être surtout, au savoir repérer, trouver, le savoir dont on peut avoir besoin dans son quotidien, d’où l’importance des espaces de partage et de leur disponibilité quelques soient les outils utilisés.
Retrouvez également Jay Cross (informal learning) dans une interview à propos de le la mobilité au service de l’apprentissage
Maintenant que les « médias sociaux » sont entrés dans les moeurs et qu’ils forcent les portes de l’entreprise, tout le monde, ou presque, s’accorde à penser qu’il est temps de mettre en place des moyens au service des utilisateurs des différentes plateformes collaboratives et autres espaces sociaux.
On a pensé un moment que la vitesse d’adoption des médias sociaux ajoutée à l’aisance avec laquelle certaines catégories de personnes les « apprivoisent » suffirait pour que tout le monde s’y mette rapidement et facilement.
A l’occasion des différentes discussions auxquelles je participe avec les entreprises, je constate très souvent que les médias ainsi que les réseaux sociaux représentent un monde encore inconnu, dont on a, certes, entendu parler, qu’on côtoie ou auquel on participe parfois, mais sans réel sentiment de compréhension, ni de maîtrise du sujet.
Ce sentiment d’inconfort est souvent également renforcé par des « formations » ou des séances de sensibilisation délivrées par des « early adopters » des médias sociaux et dont le contenu était généralement et uniquement centré sur l’utilisation des applications (Facebook, Twitter, Linkedin, RSE) et le savoir « liker » (certains ont également appris à « pinger » ou son équivalent « envoyer un poke »).
Le problème avec ces « formations » rapides, pas chères, tient notamment à ce qu’elles
s’appuient uniquement sur la plateforme,
s’affranchissent souvent de toute pédagogie,
ignorent le contexte,
et sont donc pas ou peu professionnelles.
Dans ce contexte, comment les entreprises peuvent-elles mettre en oeuvre des stratégies réellement efficaces ?
Doivent-elles compter sur l’arrivée des générations futures ou bien sur une appétence ou encore une dextérité soudaine ?
L’engagement ne s’épanouit que dans la confiance, confiance dans la stratégie, les hommes, les outils, les attitudes, mais également confiance en soi et dans sa capacité à utiliser à bon escient ces outils.
Comment demander à des employés de contribuer à des discussions, d’apporter de la valeur à des échanges, sans avoir pris le temps de leur expliquer les tenants et les aboutissants de la stratégie ainsi que « le fonctionnement » attendu dans les communautés tant en terme de savoir être que de gouvernance d’un point de vue plus général ?
Selon John P. Kotter « Leading Change » page 106
Le social business peut conduire les employés à emprunter des chemins hors de leur « zone de confort » et il est important pour eux, donc pour la réussite de ces projets, de les accompagner le long de la route !
Laisser tout à chacun « déambuler » dans les espaces collaboratifs et sociaux peut être pour le moins contre productif !
L’apprentissage du social business se fait également par un accompagnement professionnel sur la durée et qui ne tient pas qu’à une maîtrise des fonctionnalités offerte par la plateforme mais bien plus à un « nouvel état d’esprit » et à une volonté de changement dans les habitudes de chacun.
La seule façon d’aborder les conséquences de tous ces changements, c’est de suspendre son jugement. Les idéalistes voient un progrès, les grognons, une catastrophe. Pour moi, ce n’est ni bien ni mal, ni un progrès ni une catastrophe, c’est la réalité et il faut faire avec. Mais nous, adultes, sommes responsables de l’être nouveau dont je parle, et si je devais le faire, le portrait que je tracerais des adultes ne serait pas flatteur. Petite Poucette, il faut lui accorder beaucoup de bienveillance, car elle entre dans l’ère de l’individu, seul au monde. Pour moi, la solitude est la photographie du monde moderne, pourtant surpeuplé.
Non seulement, de la bienveillance mais également de l’attention, de la reconnaissance et de l’accompagnement afin que les stratégies « social business » portent leurs fruits !
S’il y a un billet à ne pas rater ces jours, c’est bien celui de Thierry de Baillon publié en deux parties et intitulé « Innovation, complexité et social business » !
D’une manière un peu rapide, on constate aujourd’hui un consensus assez large sur le pourquoi ainsi que sur le « que faire », par contre au sujet du « comment faire » beaucoup sont dans le brouillard.
Le social business valorise l’apport humain et c’est bien là que réside la complexité de la mise en oeuvre.
Depuis de nombreuses années, la formation professionnelle interne ou externe a très largement privilégié, au nom de la productivité, la maîtrise de fonctionnalités et leur enchaînement dans un processus auxquelles elles contribuent d’un point de vue technique.
Ainsi sur la focalisation des méthodes sur le « comment » au détriment du « pourquoi » a crée des légions d’exécutants habiles, rapides (efficaces) dans les tâches apprises, mais trop souvent désorientés quand le contexte change (panne, cas non standard, etc.).
La routine tue le social business
Combien d’entre-nous ont été confrontés à des situations parfois à la limite de la crise de nerfs, mais toujours ridicules et porteuses de frustration lors de discussion avec des « call centers » ou des chargés de clientèle incapables d’une action pertinente face à un « cas qui sort du cadre ».
Au quotidien dans l’entreprise et bien que les situations soient différentes, notre réalité n’est trop souvent pas plus élégante ni pertinente quand on s’éloigne du traitement de masse.
La stratégie d’automatisation des tâches et des réponses a banalisé des comportements peu acceptables aujourd’hui et d’ailleurs de moins en moins acceptés par les clients, les partenaires, les employés.
La routine (notion empruntée à l’informatique) rassure, oui mais surtout ceux qui les utilisent ou qui les ont initié au détriment de ceux qui attendent des actions, des réponses, et qui devraient être considérés comme les premiers bénéficaires légitimes des moyens mis en oeuvre pour les servir.
Un peu de méthode !
Un des enjeux du social business n’est pas de supprimer les routines, mais de valoriser les clients, les partenaires, les employés par des pratiques plus avenantes, plus pertinentes pour des résultats optimisés. Il s’agit donc pour les organisations de privilégier des formations (académiques ou internes) qui mettent en oeuvre des cursus basés sur l’apprentissage du comment, sur l’acquisition de méthodes !
L’indéniable atout de la méthode est de permettre à celui qui en a (de la méthode) de savoir écouter et d’adapter son action à la singularité (ou pas) d’une question.
Il est ainsi possible d’opter pour la meilleure manière de faire et d’apporter une « réponse pertinente, utile et valorisante », tout signe par ailleurs d’un réel engagement !
En fin de compte, les organisations doivent non seulement faire preuve de méthode pour la mise en oeuvre avec succès de leur statégie social business, mais elles ont l’obligation de déployer des initiatives et des programmes de formation de leurs employés afin que ceux-ci puissent à leur tour déployer toutes leurs qualités et leur sens de l’engagement !
La valorisation de la relation humaine passe par l’écoute, l’empathie, l’envie et ce sont des qualités bien éloignées de des automatismes et des fonctionnalités qu’il faut, malgré tout, maîtriser.
Le social business passe par une maîtrise de certaines techniques pour une valorisation à bon escient (et bénéfices) du capital social crée par nos relations, aussi préparons-nous intelligemment à relever ce défi !
Qu’est ce qui fera l’élite de demain : la formation, la culture, le réseau ?
On parle beaucoup de l’évolution des entreprises vers des modèles plus collaboratifs, plus ouverts, plus transparents, pour plus de performance sociale et économique, mais qui sont ceux qui vont initier, acccompagner et réussir ces transformations ?
On parle également beaucoup à travers le monde de l’échec de nos élites actuelles !
Ainsi, Chris Hayse (The Nation) explique :
We have a social model that is breaking down before our eyes, a method of elite selection that is growing increasingly sclerotic, rigged, and corrupt
Un extrait d’une interview :
L’un des arguments phare est le déclin de la méritocratie (ou son absence) et l’existence d’une élite « auto proclamée », peu transparente, parfois corrompue et fonctionnant en « vase clos » !
En France, On se souvient encore du lancement du mot « Énarchie » par Jean-Pierre Chevènement, Alain Gomez et Didier Motchane dans L’Énarchie ou les Mandarins de la société bourgeoise, publié en 1967, pour dénoncer l’oligarchie à la tête (notamment) de l’administration et au faîte du pouvoir.
Au niveau de l’entreprise, les « élites » actuelles ont privilègié la recherche d’une forte rentabilité immédiate (ou à court terme) et pérenne souvent au détriment d’une vraie réflexion quant à la performance et aux choix stratégiques qui sauront le mieux la servir !
Et demain ?
A rapidement regarder les sites web des « business schools », le modèle 2.0 ne semble pas encore très largement diffusé dans les cursus ; bien évidemment on parle beaucoup de Andrew MacAfee et de Harvard Business School, mais pour le reste, on en trouve plus sur YouTube (voir les vidéos de Gary Hamel)
Il est vrai que les « compétences » ne courent pas les rues et qu’il est encore plus facile de s’en tenir aux programmes définis et balisés depuis la fin des années 70.
Il est également vrai que tant la sélection sociale des élèves, la logique du classement, la quasi certitude d’avoir un job (et le choix) à la sortie ajoutés parfois à une certaine faiblesse de la formation ne sont guère favorables à la préparation d’une « élite » performante parce que d’abord concernée et visionnaire.
Au niveau du politique, comme de l’entreprise, on voit émerger l’importance de la légitimité mais peux-t-on affirmer qu’une formation dans quelque encore prestigieuse école que ce soit suffit à asseoir cette légitimité ?
Nous sommes entrés dans les années 1990 dans un époque où
la « pudibonderie verbale » (le fameux politiquement correct) fait figure de politesse,
où être conventionnel vous rendrait presque automatiquement performant,
où le principe de précaution annihile tout velléité de prise de risque,
et où la créativité et la différence ne sont « admises » que quand elles sont sources de succès (la mesure étant souvent monétaire!).
Maintenant, les attentes sont différentes, les discours plus variés, les relations plus faciles (au moins d’un certain point de vue) et les informations toujours plus disponibles.
Est-il-imaginale que cette évolution reste en dehors des entreprises, bien sur que non !
Et le management actuel (C-level) entend bien en profiter ou du moins s’y adapter en donnant une forte impulsion à la mise en oeuvre de supports et de pratiques allant dans ce sens.
Qu’en est-il de nos élites ?
Tout d’abord, il faut avouer qu’on ne les a pas encore beaucoup entendu sur le sujet, mais n’est-il pas vrai qu’en général on ne les entend que très peu et qu’elles réservent leurs réflexions à leurs conclaves privés 😉
Je crains, pour ma part, qu’elles regardent cette évolution avec les yeux et les mêmes réflexes que toujours, c’est à dire dans une perpective uniquement « productiviste » !
Sont-elles capables de changer de prisme, de s’exposer un peu plus, de faire preuve d’une réelle transparence ?
On l’espère vivement, mais pour certains, il est à craindre que c’est peine perdue !
Et demain ?
Comment sont formés les dirigeants et autres managers de demain pour accompagner l’entreprise sur ces nouveaux chemins ?
Les « business schools » ont-elles entamé leur propre mouvement vers le modèle 2.0 ?
On sait que c’est en bonne voie pour l’enseignement (MOOC >>Chaine YouTube comme celle de l’ESSEC), mais pour le reste : leur management, leurs pratiques, la collaboration, la transparence, le lien direct, etc. ?
Peux-t-on considérer qu’il n’y a pas besoin de préparation particulière et que tout se fera « naturellement » ?
Tout autant de questions qui aujourd’hui restent sans réponses claires !
Pourtant, la montée en performance des modèles collaboratifs et sociaux demandent de l’attention, du leadership, au service d’une vision pour toute l’entreprise (cols bleus et blancs) et il est impensable pour elles en premier, mais également pour la réussite de ces intiatives, de la faire sans l’apport et l’appui des élites intellectuelles, économiques, culturelles, sportives, voire politiques dans une approche elle aussi transverse et collaborative !